Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - La fête des conscrits a viré au fait divers

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 14 Janvier 2025 à 09h34

TRIBUNAL DE CHALON -  La fête des conscrits a viré au fait divers

A la barre, cet homme dans la force de l’âge. Un corps fort mais un discernement altéré. Un grave accident de la route, coma, « mon cerveau baignait dans mon sang », des séquelles. Il est jugé 12 ans plus tard, ce 13 janvier, pour une série de faits commis en état d’ivresse, le jour de la fête des conscrits dans son village.

 C’était en novembre dernier en Bresse. Il était de la fête. On lui a demandé de porter le fameux chapeau, mais il se trouvait ridicule avec ce truc et ça l’a prodigieusement agacé. Cela dit, ses ennuis ne viennent pas de là.
Ses ennuis viennent de ce que, tout le monde ayant bien bu (le vieux slogan disant que « sans alcool, la fête est plus folle » n’a pas pris, eh non qui dit « fête » dit « alcool ») et singulièrement le prévenu, ça s’est fini avec des plaies sanglantes et des menaces de mort.

D’un soupçon d’excitation sexuelle à des propos qui ont porté à conséquences 

Pour résumer rapidement : le prévenu avait dansé avec des femmes. Il aime danser « serré », c’est son truc, dit-il. Les femmes se sont plaintes qu’ils se soit en réalité « frotté » à elles, les retenant par les hanches quand elles voulaient prendre le large. 
Le pire est arrivé avec la nuit. Il est sorti fumer une cigarette. Il retrouve là, par hasard, une femme qu’il connaît puisqu’ils étaient dans la même école, enfants. Comme dit la présidente, à l’audience, « il se montre entreprenant ». Façon de dire puisqu’il est complètement à l’ouest quand il lui balance : « Il dirait quoi, ton mari, si je te violais là tout de suite ? »

De l’alcool et des poings

« J’avoue ce que j’ai fait aux femmes, dit-il à la barre, j’avoue. Et peut-être que j’ai dit à madame X que je pouvais la violer mais je l’aurais pas fait ! J’étais ivre. » 
La femme file vers son mari et le mari, qui avait bien bu lui aussi, déboule et colle un coup de poing à l’inquiétant conscrit, lequel riposte par un coup de boule qui envoie le mari cogner contre un banc en pierre : outre une vilaine plaie au front, il se fracture une omoplate. ITT de 80 jours pour lui. 
Sa femme le récupère au sol et saignant, l’emmène au lavabo pour lui passer de l’eau.

Retour sur les lieux armé d’un hachoir et dans un état second

Le prévenu, lui, passe chez sa mère et s’y empare d’un hachoir. Sa mère, affolée, prévient les gendarmes. Le prévenu retourne, très remonté mais dans un état second, à la salle des fêtes. « Je vais te tuer, je vais te découper » disait-il à l’intention du mari, sans conscience, visiblement, que celui-ci était déjà sérieusement blessé. Là, trois « rugbymans » dit la présidente, se chargent de le maîtriser.

Il conteste et reconnaît en même temps 

« Est-ce que vous avez conscience que vous avez fait peur à tout le monde ? Si y avait pas eu trois rugbymans pour vous maîtriser, on aurait eu un drame.
- Oui, peut-être, mais ils vous ont dit qu’il m’ont mis à terre et marché dessus ?
- Ils ont bien fait de vous maîtriser, on aurait pu avoir un mort.
- Oui, c’est vrai. »

Altération de son discernement

Depuis cet accident de voiture, l’homme est placé sous curatelle. Invalide à 75 %. Il a dû se soumettre à une expertise psychiatrique avant d’être jugé. Le psychiatre conclut à l’altération de son discernement. 
« Tout ça est très inquiétant » dit la procureur qui s’adresse au prévenu : « Si vous ne deviez retenir qu’une phrase ça serait celle-ci : vous êtes altéré et quand vous avez bu, vous êtes violent. » Elle lit un extrait du rapport de l’AEM (contrôleur judiciaire) : « ne mesure pas ses responsabilités », « est dans le déni des conséquences de ses actes ». Elle traduit au prévenu : « Vous êtes d’accord pour dire ce qui s’est passé, mais vous n’assumez pas. » 
Elle requiert la peine de 24 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire.

L’accident de voiture avait valu à cet homme alors âgé de 18 ans, outre de graves blessures, d’être jugé et sanctionné pour cette conduite sous l’emprise de stupéfiants. La présidente lui dit : « Vous avez été contrôlé au volant. » L’homme rectifie : « Euh… Non ! Contrôlé à l’hôpital. » La peine est réhabilitée de plein droit, donc son casier est néant aujourd’hui.

La défense invoque l’esprit de John Steinbeck

La défense a la parole. Maître Diry fait entrer John Steinbeck et son Lennie Small dans la salle, apportant ainsi à l’audience une épaisseur humaine. L’avocat résume à grands traits Des souris et des hommes, « un roman sur la brutalité et l’exclusion du handicap ». 
Revenant au dossier : « Les faits ne font pas de difficulté. L’agression, au sens pénal, est là. La violence est là. L’absence de maîtrise de la colère est là. Mais la limite est là aussi. » L’avocat trouve l’expertise psychiatrique « rapide » (elles le sont toutes, par la force des choses, ndla). « Monsieur est capable de remettre le pied à l’étrier. »

« Y aurait pas eu le coup, y aurait pas eu de violence »

Benoît Diry achève sa plaidoirie avec un style littéraire impeccable (à l’oral et sans notes) : « … des éléments qui viennent lui éclairer un avenir que saura encadrer cette juridiction. » 
Le prévenu a la parole en dernier. Il écarte les bras en signe d’impuissance pour réaffirmer ce qui pour lui est évident : « Y aurait pas eu le coup, y aurait pas eu de violence. »

Sous main de justice pendant 2 ans

Le tribunal le dit coupable, le condamne à la peine de 24 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligation de soins en addicto et avec son psychiatre (il est déjà suivi). Interdiction de tout contact avec les trois victimes (le mari blessé et deux femmes qui se sont plaintes d’agression sexuelle), ainsi que de paraître à leurs domiciles respectifs.
En outre : inéligible pendant 5 ans et interdiction de détenir et/ou de porter une arme pendant 5 ans.
Le tribunal constate son inscription au FIJAIS et au FINIADA* (le fichier honni des chasseurs).

L’homme a une question : « Mes grands-parents sont maraîchers. Si j’ai un couteau pour aller couper un chou, pour vous c’est une arme, ça ? - Oui. - Ah ben, ça va être dur, ça. »

FSA

* FIJAIS :  https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34836 
FINIADA : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000025503132/LEGISCTA000029655275/