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Pau Espinosa, baroudeuse : « Mon jardin est tous les jours différent »

Pau Espinosa, baroudeuse : « Mon jardin est tous les jours différent »
Pau Espinosa, baroudeuse : « Mon jardin est tous les jours différent »
Pau Espinosa, baroudeuse : « Mon jardin est tous les jours différent »
Pau Espinosa, baroudeuse : « Mon jardin est tous les jours différent »

Née au Creusot et ayant passé toute sa jeunesse à Chalon-sur-Saône, la vie de Pau Espinosa, libre et engagée, ressemble à peu d’autres. Après avoir démarré en décembre un voyage dans les pays d’Europe de l’Est et les Balkans, à l’heure où nous réalisons cette interview, cette artisane nomade est en Grèce.

Pau, comment est né votre goût, qui est devenu un mode de vie, pour les voyages ?

J'ai commencé à voyager avec mes parents quand j'étais toute petite mais réellement j’ai commencé à l'âge de 23 ans, après avoir terminé mes études de design graphique. Je suis d'abord  partie au Canada, au Québec où j'ai étudié l'illustration lors d'une formation de 6 mois. 

J'ai choisi le Canada à cause de la langue et pour commencer progressivement. Et c'est là-bas que le voyage m'a piquée, depuis je n'ai jamais arrêté ! J'ai rencontré des voyageurs en sac à dos et beaucoup de personnes qui m'ont ouvert la porte à un monde différent. De là, je suis partie en Californie travailler, puis au Pérou, Argentine, Bolivie, Brésil, Cuba …

Pouvez-vous nous en dire plus précisément sur ces voyages ?

Au début, je suis partie en sac à dos, tout en travaillant de choses et d’autres puis en vendant des stickers et des tee-shirts sérigraphiés de mes dessins. Puis c'est là que j'ai commencé à avoir un projet : acheter une voiture pour ne plus avoir à charger sur mon dos le lourd poids de mes tee-shirts ; acheter une voiture pour aller jusqu'en Amérique du sud, plus précisément au Brésil où je me voyais  vivre. Et de là commencent 5 ans et demi de traversée dans une petite Chrysler des années 95, de l'Amérique du nord à l'Amérique du sud, depuis la Californie jusqu'au Chili où s'est cassé mon véhicule. Malheureusement, je n’ai alors pas pu arriver jusqu'au Brésil. 

Vous n’êtes pas allée au Brésil du coup ?

J'y étais déjà allée avant où j’avais fait un volontaria sur un voilier mais je n'ai pas pu y retourner. Mais j'ai ce projet en attente : visiter le nord du Brésil, du côté Amazonie. Partir de Belem et remonter l'amazone par bateau.

Sur ces dernières années, j'ai été accompagnée de mon copain que j'ai connu au Mexique et nous avons traversé plein d'aventures, de péripéties et surtout connu des gens et des peuples extraordinaires. Je n'oublierai jamais ce voyage, je n'oublierai jamais leurs visages, cela m'a construite. Cela fait 10 ans que je voyage (sac à dos, voiture, camping-car, voilier...) J'ai maintenant un camping-car avec un peu plus de confort mais il est de 1984 ! 

Je suis actuellement en Grèce, j'ai commencé en décembre un voyage dans les pays de l'Europe de l'est et les Balkans. Avant cela, j'ai passé du temps au Maroc où j'ai fait aussi une formation de bijouterie car depuis quelques années je ne vends pas seulement des tee-shirts mais aussi des bijoux. C'est lors de mes voyages que j'ai appris à faire cela, grâce aux personnes que j'ai rencontrées sur mon chemin. 

Pouvez-vous nous en dire plus sur la confection de bijoux ? 

J'ai commencé à faire des bijoux en macramé quand j'étais au Costa Rica, il y a 5 ans à peu près. J’ai connu là-bas de très bons et inspirants artisans et j'ai commencé à m'y mettre. Plus j’avançais et plus j’apprenais de nouvelles techniques en autre le travail du cuir et du métal. Et c'est seulement en octobre 2024 que je suis allée faire une formation de bijouterie berbère à Tiznit au Maroc pour apprendre la soudure et d'autres techniques.

Est-ce qu’un jour, vous aurez envie de vous installer durablement quelque part sur la planète ?

Je ne sais pas si j'arrêterais un jour de voyager, tout ça est en moi et c'est sûr que  je ne vis pas comme la plupart des gens. C'est parfois difficile car certains proches s'éloignent de moi, ne comprennent pas… mais je continue.

Je n'ai pas de maison, pas d'attaches matérielles en France, je vis en général sans électricité, peu d'eau et mon jardin est tous les jours différent. J'ai besoin de voir ce qu'il se passe ailleurs, apprendre, connaître, dénoncer et passer du temps avec des gens que sûrement jamais je n'aurais connu autrement. Cela nourrit mon être et mon art.

Quel pays vous a le plus marqué ?

Tous les pays m'ont marquée et ont leur magie, c'est très difficile de choisir pour moi car j'ai des histoires dans chacun d'eux. Mais si il le faut, je dirais le Canada car c'est là-bas que tout a commencé, le Mexique, ensuite, car j'en suis tombée amoureuse, le Costa Rica pour sa vie tranquille et la préservation de sa nature et de ses animaux, la Colombie car j'y suis restée deux ans et j'ai rencontré des gens incroyables, l’Équateur où j'ai vécu un ‘paro nacional' et fait de merveilleuses rencontres. Le Chili aussi pour les murales que j'ai fait et la bonne ambiance. Le Maroc car j'y retourne depuis des années pour son accueil, son hospitalité. C'est très dur de choisir…

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qu’est un ‘paro nacional’ ?

C'est quand un pays conteste contre son gouvernement pour revendiquer des droits fondamentaux, dénoncer des injustices... Le peuple arrête le pays, bloque les routes, l'économie et manifeste. C'est très intense, cela peut ressembler à une guerre civile. Le gouvernement attaque et laisse beaucoup de morts. En Equateur, j'ai vécu dans un village indigène pendant un mois, le temps de la protestation. J'avais déjà vécu deux ‘paro' nationaux, un en Colombie et un au Pérou, à chaque fois c'était très grave. 

Avez-vous eu peur parfois ?

J'ai eu des appréhensions presque avant chaque voyage mais je me suis jetée à l’eau. A la base, je suis quelqu'un de timide et je me suis fait violence pour sortir de ma zone de confort. Parfois j'ai eu des situations difficiles à vivre, par exemple lors des ‘paros' nationaux ou encore lorsque je travaillais et que j'ai dû me cacher ou fuir lorsque j’étais au mauvais endroit au mauvais moment quand j'ai croisé la mafia… Il m’est arrivé de tomber malade aussi. Heureusement, la plupart du temps, je n'étais pas seule quand c'est arrivé et nous avons pris les bonnes décisions. J’ai appris à réagir très vite. Il y a eu plein de difficultés et d'épreuves mais à chaque fois on a pu en tirer quelque chose de positif et surtout rencontrer des personnes qui nous ont beaucoup aidés. C'est la plus belle chose que je retiens des moments compliqués. Il n'y avait aucun doute, nous étions où nous devions être.

Pau Espinosa, est-ce votre vrai nom ?

Je m'appelle Pauline, Pau, c'est un diminutif qu'on m'a donné quand j'étais au Mexique et j'aime bien. Espinosa n'est pas mon nom de famille. Cela veut dire épineuse, c'est un concept de femmes que j'ai inventé dans mes illustrations. Je les appelle : Las Espinosas (les épineuses) car je les dessine avec des épines en guise de poils. Les épineuses, ce sont les femmes du monde : Des femmes fortes , qui ont de grosses épines pour se défendre de notre société patriarcale, qui ont de grosses épines pour être libres. 

Comment définiriez-vous votre philosophie de vie ? 

Ma philosophie de vie, c'est peut-être d'essayer d'être libre car on ne l'ai jamais vraiment. De pouvoir faire ce que j'ai envie de faire, d'aller où j'ai envie d'aller, de ne pas être obligée de suivre un parcours de vie défini, de réussir sa vie, comme on dit. 

Je vis avec peu de choses, pour moi les choses immatérielles sont plus importantes  : l’amitié, les relations, la découverte, le partage… J’aime la débrouille, aller au plus profond d'un pays et faire partie du décor, travailler, m’immiscer dans la vie quotidienne et connaître des endroits authentiques. J'aime pouvoir me renouveler, apprendre de nouvelles choses à chaque fois,  dépasser mes limites, aller à l'aventure. Pour transmettre ce que je vis et dénoncer ce qui doit l’être, j'utilise mes illustrations comme support de cartes postales, des stickers et les  tee-shirts de la marque que j'ai créée qui s'appelle "Abre tus ojos". Je fais quelques ‘murales’ même si j'aimerais avoir la possibilité et la chance d'en faire plus car j'aime ça et cela permet la diffusion d'un message à plus grande échelle.

La plupart du temps, je travaille dans la rue, dans les villages, les villes, les endroits où je vais je pose mon stand  quand on m'en laisse la liberté.  A travers mes dessins, je dénonce le  racisme, les discriminations, les injustices, les inégalités et des faits révoltants et inacceptables de notre société. Je me sers de ce que je vois, des histoires que l’on me raconte, des mouvements sociaux et des expériences vécues dans chaque pays. Je ne me considère pas comme une hippie. Je ne vis pas non plus dans une utopie, je vis avec les cicatrices et les plaies de mon époque.

Dans ce beau et merveilleux voyage de vie, je vis, je vois des choses et je rencontre des gens magnifiques mais je vois aussi la misère, la difficulté et la tristesse du monde sans savoir quoi faire… Alors j'utilise mon crayon et mes peintures pour essayer de l'exprimer. C'est une petite façon pour moi de me libérer et quelque part me sentir un peu en paix. Malgré tout, après 10 ans de voyages et toutes ces belles rencontres, je ne peux que penser qu'il y a plus de bonnes personnes que de mauvaises. Peut être qu'un jour je m'arrêterais, je m'installerais dans une vie plus posée et j'écrirais un livre pour moi, pour me rappeler de tout ce que j'ai vécu et ne pas oublier que le voyage, c'est la richesse de ma vie.

Le 8 mars, date de publication de cette interview, est la 'Journée Internationale des Droits des Femmes', quel est votre avis sur cette célébration ?

Je pense que c'est une journée très importante où tout le monde devrait se sentir concerné, pas seulement les femmes mais aussi les hommes, et les enfants qui sont notre futur. Je pense que le changement passe aussi par là. Même si au fond de moi je pense que, dans une société saine, il ne devrait pas seulement exister une journée spéciale où l'on célèbre la femme, dénonce ces agressions et violations, revendique ces droits et équité… mais cela devrait être une évidence, un fait, une vérité pour tous et toutes partout dans le monde.

Pour suivre Pau Espinosa, instagram :  abretusojos18

SBR - Photos et visuels transmis par Pau Espinosa pour publication