Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Un déshérité dans le box, 21ème comparution

TRIBUNAL DE CHALON - Un déshérité dans le box, 21ème comparution

« C’était pour dépanner ma sœur, dit-il d’une voix traînante. Elle n’arrivait pas à démarrer et comme elle n’a pas le permis depuis longtemps... » Le président lui répond : « Oui mais vous, vous ne l’avez plus du tout votre permis, alors... »

 Alors le 1er janvier dernier, des gendarmes en poste à une intersection sur la commune de Saint-Germain du Bois contrôlent un véhicule Kangoo. Le conducteur n’a pas le droit de conduire, son permis est annulé depuis plus de 2 ans. Il dit qu'il aidait sa soeur, c'est tout, mais la loi ne considère pas cet aspect des choses. Il est en état de récidive légale, fort connu des services. 
L'homme âgé de 45 ans est placé en détention provisoire le lendemain. Il est jugé ce 10 mars en comparution immédiate, le temps que l'expertise psychiatrique soit faite.

Allez savoir

« Quand vous conduisiez le véhicule de votre sœur, vous saviez que vous n’aviez pas le droit ? 
- J’aurais su ça, j’aurais pas conduit.
- Ça veut dire quoi, ça ? 
- J’aurais pas dépanné ma sœur. »

Le girondin fait des réponses de normand, le président pose des questions inquisitrices : le juge voudrait que le tribunal soit réellement fixé sur la clairvoyance du prévenu dans la mesure où l’expert psychiatre conclut à l’altération du discernement du prévenu.

Il était en Bresse en soutien à une sœur dans la douleur

Le président donne quelques éléments de l’expertise psychiatrique, obligatoire car le prévenu vit sous le régime de la curatelle renforcée depuis décembre 2023. « Sédentarisé dans le Jura » (le prévenu était  à Simard en soutien à l’un de ses sœurs qui doit faire face à la perte d’un de ses enfants), « dépressif », « a fait une tentative de suicide », « déficit intellectuel moyen » (le président commente rapidement ce point en disant « c’est génétique, tout est génétique maintenant » sans qu’on sache s’il mêlait une pointe d’ironie à son propos, ndla), et enfin, une « addiction ».

Aux points, c’est le casier qui gagne

Point addiction. Le prévenu a toujours un suivi au CSAPA, « et des cachets » ». 
Point scolarité : a arrêté l’école en cours moyen, ne sait ni lire ni écrire. 
Point travail : fut ferrailleur avec son père aujourd’hui décédé, ne travaille plus depuis presque 10 ans. Perçoit l’allocation pour adultes handicapés. 
Point casier judiciaire : 19 condamnations pour rébellion, violences, vols, recels, conduite sous l’empire de l’alcool, etc. 
Quoi d’autre ? Il n’a plus de véhicule, prend le bus pour se déplacer, est capable de faire ses courses tout seul.

La réponse à tout faire

A une nième question pour sonder son aptitude à savoir ce qu’il fait et donc à savoir qu’il n’avait pas le droit de conduire, le prévenu finit par répondre par « ouais ouais ». Le bâtonnier Diry soulignera que « ouais ouais » est la réponse à bien des questions, qu’elles portent sur son autonomie à faire ses courses lui-même ou sur l’effectivité de sa tentative de suicide par pendaison à la maison d’arrêt de Lons-le-Saunier.

« Le 1er janvier, il n’a pas obtempéré tout de suite, les gendarmes l’ont suivi »

Le procureur de la République reprend la situation du prévenu : permis annulé en 2022 avec de surcroît une révocation de sursis, 21ème comparution. « Le 1erjanvier, il n’a pas obtempéré tout de suite, les gendarmes l’ont suivi jusqu’à une ruelle, sa sœur s’était mise au volant… Les faits sont parfaitement établis. » 
Le magistrat requiert la peine de 2 ans de prison dont 10 mois seraient assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, maintien en détention pour la partie ferme de 14 mois. « Il ne tient pas compte des avertissements et dans son cas, la récidive est à craindre. »

« Le médecin a insisté : ‘Il y a vraiment un déficit intellectuel’ »

Le bâtonnier Diry plaide sous l’angle des possibilités qu’a le tribunal pour sanctionner le prévenu sans nécessairement l’enfermer (pour quoi faire ?). « On n’a pas de rupture de lien » avec les différents organismes qui ont eu et ont encore à accompagner le prévenu. C’est un gage, pour son avocat, du bienfait de ces encadrements auxquels le prévenu sait se soumettre.
 « Il faut tenir compte de l’expertise. Le médecin a ajouté une phrase : ‘Il y a vraiment un déficit intellectuel’. Je vous demande, dit le bâtonnier aux juges, de faire jouer à plein régime vos réflexions sur ce point. »

Nul ne saura quelles réflexions auront donné les mesures des divers ingrédients qui composent la peine, soit l’altération du discernement (« le tribunal la retient »), avec l’état de récidive légale et le casier judiciaire. 
L’altération du discernement vient diminuer la peine encourue, l’état de récidive légale l’augmente.

Maintien en détention pour 10 mois puis sursis probatoire

Le tribunal dit l’homme coupable et le condamne à la peine de 16 mois de prison dont 6 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec une obligation de soins en addictologie et en psychiatrie. 
Maintien en détention pour les 10 mois ferme.

Le président prend le temps de s’adresser au condamné pour lui insuffler un peu d’envie d’aller de l’avant.
« Vous êtes capable de faire des choses avec vos mains (« Ouais ouais »), vous avez fait des choses avec votre père (« Ouais ouais »). » En toute fin : « Vous avez compris ? » « Ouais. »

FSA