Chalon sur Saône
A Chalon sur Saône, Jérôme Durain et la lutte contre le narcotrafic ou la défense des libertés individuelles
Par Flrorence SAINT-ARROMAN
Publié le 18 Mars 2025 à 06h23

Ce qu’on appelait jusqu’ici « trafic de stupéfiants » s’appelle désormais dans la vie publique « le narcotrafic ». Pourquoi ? La conférence menée par Jérôme Durain, sénateur de Saône-et-Loire, avec à son côté Patrice Guigon, procureur de la République près du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône, vous l’explique.
Entre 120 et 130 personnes sont venues écouter, à la maison des syndicats de Chalon, ce lundi 17 mars, ce que le président de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour que la lutte ait des effets plus importants, entend défendre.
Le maire de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, a dit quelques mots d’accueil, assurant que « Chalon, à travers sa police municipale, jouera toute sa partition et le fais déjà, en collaboration avec la police nationale ».
L’angle de la criminalité, explosion du trafic de cocaïne
« La commission d’enquête sénatoriale est née des narcomicides marseillais. » L’angle choisi est donc celui de la criminalité et pour cause :
- si le cannabis reste la drogue de loin la plus répandue dans le monde - avec un taux de THC qui est désormais si élevé, de 25 à 30 %, contrairement à 20 ans en arrière, où il était de 2 à 3 %, que le cannabis aujourd’hui « détruit le cerveau » rappellera avec force le colonel Lukic, en charge du groupement de gendarmerie de Saône-et-Loire. « Pensons aux enfants, quand on sait que dès le collège, ils peuvent y être exposés » conclut-il,
- si l’héroïne continue à produire ses ravages, ainsi que les opioïdes de synthèse (dont le fameux Fentanyl),
- le phénomène le plus important aujourd’hui, c’est l’explosion du trafic de cocaïne. « C’est devenu un dopant professionnel dans de nombreux secteurs » ajoute Jérôme Durain qui évoque des saisies chiffrées en tonnes rien que la semaine dernière. « Il y en a partout, et les narcotrafiquants peuvent se permettre des pertes, elles sont largement compensées par ailleurs. »
Ça et l’argent consacré partout à la corruption : « La puissance publique est face à un problème majeur et à une puissance qu’il ne faut pas sous-estimer. »
Trafics de drogues : la dette y est organisée pour piéger, pour contraindre
Le sénateur développe point par point ce qui caractérise ces trafics. D’abord « c’est une économie, mais c’est aussi une économie de la dette. La dette y est organisée. Et c’est partout en France, y compris sur les territoires ruraux. »
On va illustrer concrètement certains points par des extraits de nos articles, sur des affaires locales. En mars 2023, lors d’un procès d’assises pour enlèvement et séquestration, à Chalon : « La dette de poker a triplé. X lui demande d’organiser une transaction de stups pour effacer sa dette. »
Ou encore, en août 2020, à Montceau : « Le gars m’a retrouvé au bout d’une semaine, il m’a séquestré dans une cave, c’était un dealer. Pour le rembourser, il fallait travailler pour lui. Il a doublé ma dette et a mis des intérêts. »
Une guerre économique assise sur le règne de l’ultra violence
« C’est une guerre économique, avec des recherches de débouchés » poursuit Jérôme Durain. Les méthodes sont celles du monde moderne. La main d’œuvre est recrutée sur les réseaux sociaux : « des jobeurs, des intérimaires, des mineurs, aussi, dont certains sont réduits en esclavage. »
Le numérique sert donc à recruter mais aussi à assoir une emprise par la terreur : ces individus « filment, ils font des vidéos de tabassages, et même de mise à mort, et ça tourne dans les quartiers ».
Les modes de transaction ont beaucoup changé
Il y a encore des points de deal. Thomas Kieffer, directeur départemental de la police nationale, les évoquera : « On va sur les lieux de vente, on trouve des stupéfiants. » Il souligne au passage « l’excellent renfort des polices municipales ».
Mais les circuits de vente sont aussi devenus fluides, mobiles : on va jusqu’à la livraison à domicile, par coursier, par voie postale, par tous moyens. Le sénateur Durain montre des affichettes collectées dans différentes villes, « il y a même un QR code » (voir photos).
Par exemple, ce jugement en janvier 2021 :
« Des offres commerciales défiant la concurrence, une organisation à la pointe de ce qui se fait, avec des livraisons possibles sur tout le département 7 jours sur 7, et un click and collect organisé à Saint-Marcel : les clients passaient par un compte Snapchat, nommé « Plan B » (mais encore « Coffee shop 71000 » ou « Or vert ») pour commander la résine de cannabis. Le jeune revendeur se tient à la barre, à l’audience de comparution immédiate ce lundi 25 janvier. Il est né en mars 2002, « un très jeune majeur ». »
Jérôme Durain montre des emballages qui singent en tous points les emballages des produits de consommation courante. Ils portent des mentions dont « produit en France », ou encore « déconseillé aux femmes enceintes ».
Le blanchiment
Les trafics génèrent une quantité pas pensable d’argent. Il est le nerf de la guerre, sans égard d’ailleurs pour les sommes en jeu, même des petites sommes peuvent donner prétexte à des violences qui dépassent l’imagination.
Le volet « blanchiment » est aussi tentaculaire que toutes les méthodes utilisées dans ce milieu du narcotrafic. Les villes moyennes connaissent bien le blanchiment de proximité dans des commerces locaux, souvent mis au nom d’un proche, mais il existe beaucoup d’autres moyens, jusqu’au blanchiment financier internationalisé.
Le colonel Lukic parlera des CODAF*, les comités opérationnels départementaux anti-fraude : « Les services de l’Etat se coordonnent pour lutter contre cette économie souterraine. »
La commission sénatoriale pense qu’il faut, en plus, changer de braquet et aller jusqu’au gel judiciaire des avoirs. « Il faut prendre l’argent très rapidement, sinon il disparaît. »
Un exemple modeste mais significatif de l’embrouillamini que ça représente…
…pris à une affaire jugée en septembre 2021, pour des faits commis à Montchanin :
« Pour ce qui relève du blanchiment, il ressort de la procédure que A. ‘aurait’ joué des paris sportifs, et aurait ensuite déposé ses gains sur le compte de sa compagne, laquelle gagne environ 1400 euros par mois comme aide-soignante. Or, dit la procureur, A. A., qui alterne les missions intérim et les phases de chômage, avait aux alentours de 1000 euros de revenus licites : les 1000 euros ne pouvaient pas servir à la fois à payer des paris sportifs et à abonder le compte de sa concubine « pour participer à la vie commune ». En outre, la femme a eu des déclarations spontanées telles que « A. a mis sur mon compte en banque car au moins en cas d’arrestation, on ne peut pas lui prendre. » « Si », lui répond la procureur. Le montant des sommes non justifiées s’élève à 81 700 euros. Une paille au regard des gains estimés de ce trafic, poursuit la magistrate. »
La corruption n’est plus qualifiée de « basse intensité »
La corruption, point névralgique, forcément. Le risque est considéré comme « très élevé » et peut toucher n’importe quelle fonction.
Jérôme Durain parle des « valises de billets » qui passent dans les docks contre le déplacement d’un container, par exemple, mais aussi des consultations abusives de fichiers contre rémunération (plus modeste), il parle de policiers de la police de l’air et des frontières, la PAF, en Guyane, jugés et condamnés pour avoir participé au trafic.
La PAF est en première ligne avec le problème de celles et ceux qu’on appelle des « mules ».
Exemple de cette affaire jugée au TJ de Chalon en 2020 :
« Le 23 décembre 2019, un renseignement prévient la DIPJ de Dijon que des passeurs de Saône-et-Loire sont en Guyane et vont en rapporter de la cocaïne. On recherche sur les listes de passagers, et l’on trouve un homme, originaire du Creusot, qui a embarqué le 18, retour prévu le 26, et une femme, du Creusot elle aussi, qui a embarqué le 21, retour prévu le 26. Ils ont tous deux réglé leurs billets en espèces.
On met en place un dispositif à Orly, le 26 décembre en début de matinée. La police de l’air et des frontières signale que les deux passagers visés sont en salle des contrôles. On leur laissera passer tous les stades. Les policiers de Dijon peuvent ainsi observer que deux hommes les abordent à leur sortie de l’aéroport, que deux autres les regardent.
On interpelle le couple au moment où il monte dans un taxi. Autour de leurs tailles, des ceintures en général prescrites pour les lumbagos. Dans les ceintures, pas loin de 5 kg de cocaïne sont répartis. 2 064 grammes sur elle, 2 247 grammes sur lui. Le chauffeur a les photos de ces clients dans son téléphone, à la perquisition on trouvera chez lui environ 48 000 euros en liquide. Faute de mieux il n’est pas poursuivi mais tout ça pour dire que c’est du voyage organisé dans tous les détails. »
Chantage, menaces, etc.
La corruption touche aussi des fonctionnaires. Jérôme Durain précise que bien souvent, la pression est nourrie de menaces du genre : « Au fait, le cours de danse de ta fille hier à 17 heures à tel endroit s’est bien passé ? » Règne de la terreur, par tous moyens, on vous dit.
Quelles mesures ?
A l’heure de la conférence, les travaux sont en cours à l’assemblée nationale, sur ce projet de loi. On ne sait pas ce qui va en sortir exactement, mais les porteurs de ce projet ont des certitudes :
- création d’un parquet national anti stupéfiants
- création d’un Etat major anticriminalité, organisé.
Partout sur le territoire, on agit, mais « vu d’en haut, c’est désorganisé », or pour lutter contre une criminalité aussi ramifiée, aussi puissante, aussi riche, aussi armée, et sans le moindre scrupule, sans aucune autre règle que la domination par la force, par la violence, jusqu’aux assassinats, il faut « non pas changer de degré mais changer de nature ».
Cette conviction s’enracine dans plus de trois ans de travail, d’enquêtes et de collecte d’informations, elle s’enracine aussi dans des faits qui désormais sont connus de tous (comme la poursuite des trafics de l’intérieur des prisons où l’on trouve téléphones et drogues) et qui ne sont pas admissibles.
Du reste l’assassinat de deux agents pénitentiaires (il y eut également trois blessés) en mai dernier a démontré que le changement de braquet est déjà fait du côté des narcotrafiquants en France (d’où le choix de ce terme qui évoque les cartels d’Amérique du Sud, pour signifier les tournants qui sont pris ici).
C’est ainsi qu’on en arrive aux questions de la salle, qui n’ont pas manqué d’être militantes pour certaines : on s’inquiète de ce que des dispositions particulières puissent toucher des personnes dont les activités n’ont rien de criminel. On s’inquiète d’atteintes aux libertés fondamentales.
« Ce sont des groupes criminels. Il faut prendre la mesure de la situation »
Réponse du sénateur Durain :
« Je suis, en tant que citoyen, très attaché à mes libertés, mais vous devez savoir que n’importe quel régime politique autoritaire peut détourner des moyens, à son profit. Pour autant, les libertés publiques, c’est aussi de ne pas se faire cogner par d’autres. Alors, oui, c’est une législation qui a des aspects intrusifs, mais à Marseille, à Dijon, à Nîmes… des passants, et même un enfant, ont été fauchés par des balles. »
On songe à cette affaire, jugée en décembre 2020, faits commis à Montceau :
« La balle est partie toute seule », plaidait le grand pour son compte. On croit rêver et l’on rejoint la mère du lycéen qui est à l’audience : « Mais on vit où ? » Voilà, ce vendredi à Montceau, un deal de shit a mal tourné et deux mondes sans relation entre eux se sont percutés. En bons gars du milieu, ne leur en déplaisent, les prévenus voulaient embarquer le lycéen dans leur voiture. Les méthodes sont partout les mêmes, et quand on les rencontre, elles font effraction. »
On songe aussi à ce trafic au Creusot, jugé en juin 2021 :
« Il n’est pas possible, vu de l’extérieur et de loin, de se représenter les niveaux de toxicité, de nuisances et de dangerosité d’un tel trafic sur la vie de chacun. Croiser un vendeur au visage entièrement dissimulé, devoir attendre qu’on vous ouvre pour entrer dans le bâtiment où vous logez, vivre chaque jour au contact d’une activité de nature criminelle, savoir que certains sont armés, que d’autres sont défoncés, que l’argent passe de main en main jusqu’à celles d’un chef qui s’enrichit sur le dos de tout le monde. Et finir par redouter une balle perdue ?
La procureur revient rapidement sur ce cumul aussi efficace qu’une maladie dégénérative pour vous abimer la vie sur tous ses plans. »
Le sénateur comprend bien les légitimes questions sur les abus possibles, mais il insiste néanmoins : « Ce sont des groupes criminels. Il faut prendre la mesure de la situation. »
Le sénateur Marie Mercier prend le micro pour une intervention aussi rapide qu’efficace :
« A la commission des lois, nous sommes très attachés à la question de la liberté. » Pour autant, explique-t-elle en substance, quand pèsent dans la balance une gigantesque économie parallèle, des emprises (des uns sur les autres, des uns sur des bâtiments entiers, des rues, etc.), et des gens bousillés (enfants, adultes) au bout du compte, est-il raisonnable de laisser à des criminels toute cette latitude ? N’est-il pas préférable de protéger la population, les enfants, les adultes ?
« Elle est où, la liberté d’un criminel ? » interroge Marie Mercier qui renvoie la question en miroir à la salle.
Conduite ayant fait usage de stupéfiants
La soirée va prendre fin, les derniers intervenants ramènent l’ampleur de la consommation de drogues devant nous. « En zone gendarmerie, dit le colonel Lukic, on a retiré 1 300 permis de conduire en 2024. Les zones-gendarmerie ne sont absolument pas épargnées. »
Il se trouve qu’Olivier Tainturier, sous-préfet de l’arrondissement de Chalon-sur-Saône, vient de signer des retraits de permis pour usage de stups : « Il y avait un chauffeur routier et un chauffeur sans autre mention. » Le sous-préfet doit rester réservé, attendu que le projet de loi est en cours d’examen. Il salue l’action des forces de l’ordre : douanes, police, gendarmerie, remercie l’initiateur de cette réunion publique, dit « espérer en une loi pour renforcer l’arsenal répressif de ces trafics ».
La prison, rappelait Jérôme Durain, n’est plus un empêchement pour les narcotrafiquants : « ça ne rend pas service à la démocratie. »
Voilà l’enjeu.
FSA
Nous traiterons dans un autre article l'intervention du procureur de la République sur l'état des choses dans la juridiction.
* https://www.economie.gouv.fr/codaf-comites-operationnels-departementaux-anti-fraude



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