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En distinguant d’un prix l’excellent roman d’Olivier Norek, « Surtensions », le magazine Le Point ne craint pas le ridicule…
Publié le 29 Juin 2016 à 19h48
Lieutenant de police en disponibilité, devenu scénariste de la série Engrenages, Olivier Norek est aussi l'auteur d'excellents polars. Celui qu'il vient de publier, aux éditions Michel Lafon, confirme l'immense talent qui est le sien, en même temps que façon élégante de "faire de la politique".
Surtensions [1], le tout dernier roman d’Olivier Norek, paru en juin, a obtenu le « Prix Le Point du polar européen 2016 ». Et, à lire certaines plumes à gages parisiennes qui se reconnaîtront, une telle onction lui confère une valeur sûre. Si bien qu’il faudrait « aaaaaabsooooolument » se le procurer, et faire fi de la « modique » somme de 19,95 euros nécessaire à son acquisition. Sauf que, lorsque l’on connaît les goûts de chiottes récurrents du Point, magazine spécialisé dans la dénonciation des prétendues gabegies de toute sorte et des « assistés », alors même qu’il ne pourrait être en mesure de répandre ses lieux communs libéraux et ses considérations dignes de tout café du commerce qui se respecte sans les aides publiques que lui allouent généreusement l’Etat [2], une telle « distinction » devrait plutôt inciter toute personne douée de raison à ne surtout pas acquérir le roman d’Olivier Norek… Ce n’est pourtant pas le parti qu’a pris Info-Chalon.com qui, non content de l’acheter, l’a lu. Pourquoi ? Parce que, depuis qu’il a eu entre les mains son précédent polar, Territoires [3], votre serviteur a vu en Norek un GRAND et escomptait bien que Surtensions serait de la même facture que ce dernier, c'est-à-dire excellente.
Est-ce toutefois le cas ? Parlons net : Surtensions est un polar comme on n’a rarement l’occasion d’en dévorer : haletant, cohérent, bien écrit. Haletant, cohérent, bien écrit mais surtout incroyablement crédible, certainement en raison de la profession initiale de Norek : lieutenant de police, désormais en disponibilité, à la Section enquêtes et recherches du SDPJ 93, département qui sert de décor – lugubre – à tous ses romans, y compris Code 93 [4], premier opus consacré à son protagoniste, à savoir le capitaine Coste.
Un polar, mais pas que
Ceci posé, ce n’est pas tant pour ces qualités-ci que le polar de Norek mérite d’être acquis et lu. C’est aussi parce qu’il fait preuve de cette élégance si joliment saisie par ce mot de Proust : « un livre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix » [5]. Car s’il ne les balance pas directement en pleine face de son lecteur, comme le ferait un vulgaire prescripteur d’opinions, des idées, Olivier Norek en a.
Des idées plutôt bien arrêtées même, qui s’inscrivent en faux contre les articles, chroniques et « enquêtes » publiés à longueur d’années dans Le Point, dans lesquels les injonctions à réduire la dépense publique, à diminuer le nombre de fonctionnaires, à « enfermer le dehors », relèvent presque du pathologique. Des idées dont l’illustration concrète, manifestement nourrie de l’expérience de terrain du lieutenant Norek, démontre l’inanité de ce que distille à feu continu ce magazine sous perfusion d’argent public. C’est d’ailleurs pourquoi l’on peut valablement se faire la réflexion qu’en distinguant ce roman, Le Point ne craint pas le ridicule… Mais peut-être n’est-il là que l’innocente victime d’un vilain tour des membres du jury, composé professionnels du livre, de l’édition et de la presse, trop heureux d’associer au Point un ouvrage le mettant en porte-à-faux… A moins que, sentiment de culpabilité de la rédaction du Point oblige, à force d’avoir conscience de débiter n’importe quoi chaque semaine, les membres de cette dernière aient souhaité, en adoubant Surtensions, procéder à une sorte de catharsis… Quoi qu’il en soit finalement, l’important est Olivier Norek a assurément des choses à dire. Des choses de nature politique.
Le polar, une occasion déguisée, pour Norek, de faire de la politique ?
A l’occasion de la remise du prix Chabrol, lors du Festival international du film policier de Beaune, au printemps dernier, pour Coup de chaud, dans lequel il campait le maire d’une commune peu attrayante, Jean-Pierre Darroussin, l’œil malicieux, avait déclaré que « le film policier est souvent une occasion déguisée de faire de la politique » [5]. A sa manière, Norek, avec Surtensions, illustre avec acuité que, dans le même ordre d’idées, le roman policier ou le polar peuvent également s’avérer une occasion déguisée de faire de la politique.
On l’avait déjà largement remarqué en lisant Territoires, sur lequel Info-Chalo.com reviendra prochainement, Norek ne s’intéresse pas qu’à des histoires de meurtres, de trafic de drogues et autres joyeusetés, telles qu’on en trouve dans tout roman de « littérature noire » qui se respecte. En fait, la politique - plus exactement : une analyse politique – est perpétuellement présente dans ses polars. Sauf que le lecteur ne la reçoit pas comme telle, comme un oisillon reçoit la becquée, mais se trouve subtilement conduit à parvenir à certaines conclusions, grâce à une narration aussi efficace que convaincante. Ceci est particulièrement criant lorsque, tout au long de la première partie, intitulée « Entre quatre murs », Norek s’emploie à démontrer que la politique pénale adoptée par la France depuis plusieurs décennies, sous la houlette des Etats-Unis d’Amérique – qui commencent d’ailleurs à en revenir [6] -, a surtout engendré une surpopulation carcérale dramatique et que, loin de résorber la délinquance qu’elle avait vocation à juguler, celle-ci la perpétue et lui serre de terreau, malheureusement très fertile.
Dans les 73 pages constituant cette partie à la limite du soutenable, Norek rapporte les propos tenus par l’ancien directeur de la prison de Marveil, dans un reportage, et pour lesquels il a été débarqué et remplacé quinze jours plus tard : « Un centre pénitentiaire n’est efficace que s’il reconstitue une société carcérale juste. Sans prédateurs, sans proies, dans une parfaite équité, sans privilèges ni passe-droits, sans nécessité de violence, sans jalousie de ce que l’autre pourrait avoir de plus ou de mieux. La force devenant inutile, il ne reste plus qu’à vivre ensemble, en bonne société. Malheureusement, il n’existe pas d’endroit plus dangereux, inégal et injuste que la prison. Et au lieu de ressortir équilibré ou cadré, les détenus en sortent plus violents, désabusés, perdus et agressifs, sans aucun projet de réinsertion. Plus venimeux en sorte. La prison comme une école du crime. » Rien de bien nouveau sous le soleil, objectera-t-on. Sauf qu’en reliant ce constat à la baisse tendancielle des crédits alloués à la justice par les gouvernements successifs, et à la diminution des moyens matériels et humains nécessaires pour que la prison ne soit pas à une usine à bêtes sauvages dont tout politicien à la petite semaine se dépêchera de déplorer la « dangerosité », la sentence à l’égard du politique est, si l’on ose dire, sans appel. Avec le polar, Norek a donc bien trouvé là une occasion déguisée de faire de la politique, ce que d’aucuns ne manqueront pas de déplorer, criant à la confusion des genres, parfois avec des arguments dignes d’intérêt.
Ceci dit, quand ceux dont la fonction est pourtant de « faire de la politique » ne parviennent au mieux qu’à se vautrer dans la politicaillerie - postures, « com’ », jeux d’appareils et petites phrases sur BFMTV –, il n’y a finalement rien d’étonnant à ce que les romanciers ou encore les réalisateurs de cinéma se sentent dans l’obligation de prendre le relais. En effet, la Politique – avant un grand « P » – ayant horreur du vide, elle se déplace vers les sphères lui permettant de conserver ses lettres de noblesse. Par exemple, les polars de Norek, à découvrir, si vous ne les avez pas encore croisés.
S.P.A.B.
[1] Olivier Norek, Surtensions, Michel Lafon, juin 2016, 506 p, 19,95 euros
[2] Sur ce point, lire, notamment :
http://www.acrimed.org/Assiste-par-l-Etat-Le-Point-denonce-le-scandale-des-assistes
[3] Olivier Norek, Territoires, Michel Lafon, 2014
[4] Olivier Norek, Code 93, Michel Lafon, 2013
[5] Marcel Proust, Le temps retrouvé, t. IV de À la recherche du temps perdu, édition en quatre volumes publiée sous la direction de Jean-Yves Tadié, Paris : Gallimard (Pléiade), 1987, p 461.
[6] Lire l’article d’Info-Chalon.com :
[7] Le Monde, 2.05.2016 :
EXTRAITS :
« Pour parfaire le malaise, les prisons portent simplement le nom des endroits qui les accueillent. Ainsi, lorsque l’on doit vivre à Fresnes ou à Fleury-Mérogis, celui qui vous écoute vous imagine déjà assassin ou violeur. Marveil n’échappe pas à la règle. »
« Le cannabis. Encore un moyen de se garantir un peu de calme. Une partie non négligeable des prisonniers se retrouvent à Marveil pour des délits relatifs à la drogue. Qu’elle soit tolérée à l’intérieur de la prison relève de l’ironie. »
« Ça ne loupe jamais : quand tu as le droit, tu cognes. »
« Une partie non négligeable des prisonniers se retrouvent à Marveil pour des agressions sexuelles. Qu’elles soient tues, voire tolérées à l’intérieur de la prison, voilà qui relève encore de l’ironie. »
« Derrière lui, un tableau immense, fait de taches de couleur jetées au hasard, gerbées comme un lendemain de cuite. De l’art moderne assez moche pour être hors de prix. »
« Rien de plus inutile qu’une journée ensoleillée en banlieue. Ça te rappelle simplement que t’as ni la plage ni la montagne pour en profiter, juste des immeubles en béton qui chauffent pour rien. »
« C’est un homme politique. Les politiques, ça titube, ça tangue, mais ça ne tombe jamais réellement. »
« Il n’est de complice que lors du crime. »
« Un braquage, c’est comme de la pub, tout se joue sur le marketing et l’image. »
« S’il y avait des chewing-gums goût bite, elle mâcherait toute la journée. »
« C’est un beau temps pour une journée de merde. »
« La justice n’est qu’une demande de vengeance et la vengeance n’a jamais soulagé les âmes. »
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