Chalon sur Saône
Florence Saint-Arroman relate ces vies qui basculent…
Publié le 12 Janvier 2020 à 16h08
Si vous êtes nombreux à lire les articles de presse judiciaire qu’elle écrit pour des sites d’informations en ligne dont Infochalon, peu connaissent la journaliste indépendante, notamment autrice dorénavant installée à Chalon-sur-Saône. Parcours passionnant ; en effet, passée par Lyon-Libé, une maîtrise de philo en poche, quelques piges pour une revue de cinéma, une incursion TV sur une chaîne cablée, un temps enseignante FLE (Français Langue Etrangère)... Biographie non exhaustive. Interviewée à deux reprises l'année dernière pour des émissions TV sur les crimes, Florence Saint-Arroman a choisi de publier un recueil ‘Quand nos vies basculent’, des chroniques judiciaires passionnantes qu’elle a enrichies grâce à la participation d’acteurs judiciaires et de confrères journalistes. Interview…
Comment en arrive-t-on à s'intéresser aux faits divers ? À en faire son métier ?
Je suis venue à la justice par hasard, alors que je vivais à Mâcon, parce qu’une consoeur faisait des papiers pour Mâcon Info et m’a dit que personne ne faisait le tribunal. Je suis donc allée au tribunal et j’ai appris, au fil des audiences. Au début, j’y allais quand je le pouvais et puis il s’est passé quelque chose d’inattendu : mes articles, ma façon de traiter les jugements, ont trouvé une audience et il y a eu des retours très favorables. Alain Bollery m’a proposé de venir à Chalon et de travailler au tribunal pour les web média du ressort : Montceau News, Autun Infos, Info Chalon et Creusot Info.
Ce que je fais n’a plus grand-chose à voir avec le fait divers pourtant la plupart des journaux n’ont pas de rubrique « justice », ils mettent tout en « faits divers » et cela entretient une confusion. Confusion dommageable à de nombreux égards car la justice est une institution, un des pans qui rendent la vie en société possible. Or nous ne savons pas comment elle fonctionne, comment on juge les hommes de nos jours, à quoi on se réfère, etc. J’essaie d’en rendre quelque chose dans mes articles. Du coup, ça m’intéresse beaucoup d’essayer de rendre compte, à travers un récit, des faits, des sanctions, mais aussi des dimensions des vies des gens, de nos vies, d’où ce « nous » dans le titre.
À qui s'adresse ce recueil ?
Ce livre s’adresse à tout le monde, du moins c’est mon souhait, et du reste c'est ce qui se passe car certains vont accrocher aux histoires (et même s'intéresser aux sorts des personnes condamnées), d'autres sont des professionnels, et chacun y trouve de l'intérêt. Ce recueil fixe des histoires, écrites entre 2015 et 2019, il y en a douze. Et puis j’ai demandé à des avocats, à d’autres journalistes et à un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, d’écrire à la suite des textes. Personne n’a eu de consigne et chacun a tiré le fil qu’il souhaitait tirer, ça donne des choses très différentes et ça me plaît, par ce côté mosaïque qui est bien réel.
Comment s'est faite la sélection de ces chroniques judiciaires ?
J’ai choisi les textes d’abord parce que je les aimais bien, et qu’ils racontent tous quelque chose. J’ai écarté les gros jugements pour trafic de stupéfiants et les apologies du terrorisme pour rester au plus près de ce qui parle à chacun de nous. J’ai choisi de recourir au financement participatif pour l’éditer : il y a eu une campagne assez courte, de moins d’un mois, sur la plateforme Ulule et par chance plus de 100 personnes ont participé en pré-commandant le livre. J’en ai posté environ 200 et j’ai eu des retours de lecteurs qui témoignent qu’on peut faire plusieurs lectures de ce livre, les histoires plaisent pour ce qu’elles sont : des histoires, car le temps d’une audience suffit à restituer des tranches de vies. Faire une telle campagne n’est pas si évident, mais c’est aussi l’occasion de rencontres car je ne connais pas toutes ces personnes. Le président du tribunal de Mâcon, Mahrez Abassi, a fait la préface, c’est une marque de confiance, bien sûr. Et il y a peu, via Twitter, un enseignant m’a dit qu’il se servait de mes chroniques comme porte d’entrée à certains champs de réflexions pour ses élèves de terminale en lycée professionnel. Je ne pense pas pouvoir recevoir de marque d’estime plus gratifiante pour mon travail, car les bonnes chroniques sont forcément des mines pour aborder soit la connaissance de notre justice pénale, soit celle des réalités sociales (celles de la grande pauvreté, mais pas seulement loin s’en faut), soit celle de problèmes généraux comme l’alcoolisme, comme les violences, comme des troubles mentaux, ou encore la difficulté parfois d’aborder l’autre et de le comprendre – cf. la seule relaxe qui apparaît dans le livre.) On se retrouve, dans ce livre, comme membre d’une communauté qui connaît ses grandeurs mais aussi ses misères. Qui parmi nous peut prétendre n’avoir jamais eu la moindre difficulté ?
Vous êtes le témoin "privilégié" de ces faits divers. Constatez-vous une dérive sociétale ? Ou du moins une évolution ?
Je ne pense pas avoir assez d’expérience pour être capable d’une telle analyse. Je constate qu’on distribue en audience des « obligations de soins », comme s’il y en avait un grand sac aux pieds des juges, et qu’on puisait dedans avec facilité. Cette obligation me laisse perplexe : comment peut-on « obliger » quelqu’un à se soigner ? Seconde question : se soigner de quoi ? La toxicomanie, la dépendance alcoolique, mais aussi « l’impulsivité », la propension à la violence, tout cela se « soigne ». Cela raconte quelque chose de la société dans laquelle nous vivons, et comment on y aborde ces problèmes. J’aimerais beaucoup travailler sur le sujet dit de « l’addiction ». On sait que c’est un mot à la mode, être « addict », c’est tendance, sauf au tribunal où c’est quelque chose à « soigner » dès l’instant où l’on pense (à tort ou à raison) que telle dépendance est à l’origine d’un acte délictueux. Comment les addictologues (absents aux audiences mais présents à toutes, en pensée) se saisissent-ils de cette injonction, de cette obligation ? Comment fait-on avec quelqu’un qui ne voit pas où est le problème ? Comment fait-on avec quelqu’un qui a une demande (le meilleur des cas) mais qui ne pourra pas sortir des drogues dures ou de la consommation quotidienne d’alcool en un claquement de doigts ? Comment fait-on avec les rechutes, qui sont incluses dans les parcours mais qui peuvent générer une récidive aux yeux de la loi ? J’aimerais vraiment pouvoir interroger les centres qui reçoivent énormément de gens sous main de justice. Le centre pénitentiaire doit avoir une pharmacie tout à fait impressionnante vu le nombre de « cachets » qu’on y distribue.
L’autre aspect qui me frappe et qui est lié au premier, c’est le souci de la santé mentale, dans un lieu (le tribunal) où l’on n’a pas de spécialistes. Alors on entend les mots, « schizophrène », « bipolaire », « personnalité border line », « psychotique », « impulsif », etc., sans qu’on sache très bien ce que ça recouvre et quelles sont les incidences réelles sur la vie des personnes concernées. Je sais que ce sont des gens qui souffrent, mais ensuite ? C’est un aspect délicat, car les étiquettes sont utiles pour ordonner les choses, dans un dossier, mais c’est une source de confusion et de projections inévitables. La « psy » est entrée au tribunal, mais ça reste assez souvent nébuleux même si c’est une façon de prendre en compte chaque personne y compris dans les dimensions difficiles de sa vie. Sans compter les personnes ouvertement malades qu’on incarcère, au nom de la responsabilité de chacun. L’affaire du non-jugement Kobili Traoré (qui a tué Sarah Halimi en avril 2017), déclaré pénalement irresponsable, remet en route une réflexion sur cette question, et c’est très intéressant. Daniel Zagury, le seul expert psychiatre qui a conclu à la simple altération du discernement (et non à son abolition, comme ont fait ses confrères) soulevait cette question lors d’un autre procès d’assises : « Le problème (…) est : cet individu a-t-il participé à l’état dont il est responsable ? » La plupart du temps les tribunaux estiment que oui, et on oublie souvent que c’est une façon de conserver une dignité d’homme (plutôt que d’être considéré comme parfaitement irresponsable : on ne peut dès lors plus répondre de rien. À quoi ressemble la vie dans ces conditions ? Les personnes internées à vie le savent). À partir de là, et puisque chacun d’entre nous peut être éclairé à la lumière de son passé, de ce qui l’a constitué, etc., il faut porter le regard ailleurs qu’en salle d’audience : dans les lieux où l’on parle de tout ça.
‘Quand nos vies basculent’, chroniques judiciaires. Florence Saint-Arroman. 152 p.
Où le trouver ?
Disponible dans les librairies chalonnaises : Develay (maison de la presse), Gibert Joseph et La Mandragore. Egalement disponible sur : https://quandnosvies.wixsite.com/monsite
Sonia Blondet Rodriguez
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