Livres

Info-Chalon a lu pour vous les confidences du dernier des chiraquiens, l’ex-président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Débré

Info-Chalon a lu pour vous les confidences du dernier des chiraquiens, l’ex-président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Débré

Ils sont de moins en moins nombreux de nos jours, mais Jean-Louis Debré fait assurément partie de ces politiques capables d’écrire des livres, que ce soit pour faire part de leurs convictions ou raconter leur expérience. Pour s’en convaincre, il suffit de lire celui qu’il vient de publier : « Ce que je ne pouvais pas dire ».

Jean-Louis Debré n’est pas le premier à tirer un livre [1] de son expérience de membre du Conseil constitutionnel, cet organe juridictionnel que son père – Michel – qualifiait de « chien de garde du pouvoir » [2], dans la mesure où sa création, à la suite de l’adoption de la Constitution de 1958, devait servir à mettre au pas le Parlement, et certainement pas à protéger des droits et libertés constitutionnellement garanties… Car, en 1958, de tels droits et libertés, absents du texte constitutionnel même, n’existaient pas. Ce n’est qu’après ce « coup d’Etat de droit » [3] maintes fois dénoncé par des juristes comme Jean Rivero [4], et opéré en 1971 via une décision retentissante [4] par laquelle le Conseil reconnaît - entre autres - une valeur constitutionnelle au préambule de la Constitution, qui n’en avait aucune auparavant, que la créature des constituants de 1958 échappera à ses maîtres, pour s’ériger en gardien des droits et libertés. Droits et libertés auxquels les lois devront se conformer.

Jean-Louis Debré, donc, n’est pas le premier à tirer un livre de son expérience de membre du Conseil constitutionnel, dont il fut plus exactement le président, de mars 2007 à mars 2016. Avant lui, une figure politique locale, encore connue des vieux Chalonnais, Pierre Joxe, avait aussi raconté par le menu ses années passées au sein du Palais-Royal, côté rue Montpensier, comme simple membre du Conseil constitutionnel, de 2001 à 2010 [5]. Un ouvrage pas inintéressant, mais relativement décevant, dans la mesure où Joxe, réputé pour son mauvais caractère et sa forte personnalité, ainsi que pour son relatif mépris à l’égard des militants socialistes n’ayant pas eu l’insigne honneur d’accompagner son ascension politique dans les années 1970, se révélait plutôt modéré et, pour tout dire, pas franchement novateur, une fois la foudre lancée... Une impression que semble faire sienne Jean-Louis Debré lorsqu’il écrit : « Je lui ai confié des rapports et il s’est montré d’un sérieux irréprochable. Je n’ai jamais eu le sentiment cependant que les solutions qu’il nous proposait émanaient d’un révolutionnaire. » [6] Une façon, polie, de dire que, si Joxe n’était pas une erreur de casting, sa présence au sein du Conseil constitutionnel ne cassait pas des barreaux de chaises…

Si Jean-Louis Debré n’est pas le premier à tirer un livre de son expérience, encore moins le premier président du Conseil constitutionnel à prendre sa plus belle plume pour dévoiler les arcanes de ce qui se passe derrière les murs abritant les « Sages de la rue Montpensier » [7], il est en revanche le tout premier à le faire avec un certain talent. Au point que, une fois commencée la lecture de la toute première page, on peine à le lâcher avant d’avoir atteint la dernière.

Pourquoi ? Peut-être parce que Debré, jadis juge d’instruction, fut également un homme politique de premier plan [8], à qui « on ne la fait pas », et sait, en grattant derrière l’apparence des choses, vous en montrer la vanité, la réalité, souvent peu ragoutante. Peut-être, aussi, parce que Debré, auteur de plusieurs romans, fin observateur de ses contemporains, a un certain don pour la narration, pour raconter des histoires a priori sans intérêt. Peut-être, enfin, parce qu’il ne vous parle pas que de tambouille juridique, de problèmes de droit inaccessibles au profane, mais se livre à des portraits, souvent au vitriol, de celles et ceux que la fonction de président du Conseil l’ont contraint à cotoyer. On pense ici aux lignes qu’il consacre à Edouard Balladur, Bernadette Chirac, Nicolas Sarkozy et ce Valéry Giscard d’Estaing qui, sous sa plume acérée, semble être la proie de cette sorte de malédiction chantée naguère par Brel dans Les Bourgeois, selon laquelle « plus on devient vieux, plus on devient c… ». Une malédiction qui, soit dit en passant, semble avoir épargné son vieil ami Jacques Chirac, pour lequel Jean-Louis Debré n’a visiblement qu’amitié et tendresse. En effet, loin d’être dépeint comme un vieux c…, Chirac, tout en restant humain et attachant, ne devient…plus rien, disparaît en même temps que sa mémoire s’efface, sous l’effet d’une maladie que Debré ne nomme jamais, sans doute par respect. A moins que ce ne soit par pudeur. Et, pudiques, les mots que trouve Debré pour dire le crépuscule de Chirac n’en sont pas moins déchirants.

Dommage, finalement, que Jean-Louis Debré ait quitté la politique avant que celle-ci ne le quitte, comme il le dit dans son livre. L'homme, aussi imparfait soit-il, avait des convictions, une vision, une certaine conception de la République et de l'honneur, contrairement à la génération montante... Dommage aussi, que le Conseil constitutionnel qui, grâce à Debré - et un peu aussi grâce à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a permis l’introduction dans notre ordre juridique de la fameuse « Question prioritaire de constitutionnalité » -, s’est indéniablement inscrit dans le paysage institutionnel et juridictionnel français entre 2007 et 2016, perde un tel président. Car pas sûr que celui qui lui a récemment succédé, Laurent Fabius, qui a inauguré ses nouvelles fonctions en cherchant à tout prix à les cumuler avec celles de président de la COP 21 [9], soit une bonne pioche même si, juriste de haut niveau, ce dernier n’est pas, c’est vrai, le moins indiqué pour prendre les rênes de ce qui, avec le temps, est devenu un véritable « gardien de la Constitution ».

S.P.A.B.

 

[1] Jean-Louis Debré, Ce que je ne pouvais pas dire, Robert Laffont, 2016, 356 p, 21 euros

[2] Cité dans l’excellente émission de France Culture du 27 février 2016, intitulée « A quoi sert le Conseil constitutionnel ? ».

Pour l’écouter : http://www.franceculture.fr/emissions/l-atelier-du-pouvoir/quoi-sert-le-conseil-constitutionnel

[3] L’expression est d’Olivier Cayla. Forgée par ce dernier (Le Débat, n°100, 1998, p 108), à propos du Conseil d’Etat et de l’arrêt d’assemblée Nicolo (20 octobre 1989), elle n’est pas sans décrire à merveille ce qui est advenu à la suite de la décision de 1971.

[4] Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association.

[5] Pierre Joxe, Cas de conscience, Labord et fides, 2010, 245 p

[6] Jean-Louis Debré, Ce que je ne pouvais pas dire, Robert Laffont, 2016, p 293

[7] Auparavant, le tout premier président du Conseil constitutionnel, Léon Noël, s’est lui aussi livré à l’exercice dans De Gaulle et les débuts de la Vème République (Paris, Plon, 1976), un ouvrage qui n’est pas sans intérêt, mais pas forcément indispensable non plus, sauf pour le juriste constitutionnaliste avide de comprendre la mise en place des institutions de la Vème République.

[8] Ministre de l’Intérieur de 1995 à 1997, Président de l’Assemblée nationale de 2002 à 2007, ainsi que, entre autres, député de l’Eure de 1986 à 2007.

[9] Sur ce sujet :

http://www.europe1.fr/politique/cop21-les-caprices-de-laurent-fabius-agacent-lelysee-2668741